
emptiness
Le matin, j’écris. J’essaie de ne pas déroger à la discipline que je me suis imposée il y a plusieurs années. Certains jours, c’est difficile. L’écriture résiste. Les mots manquent. Se cachent. Se dérobent.
C’est une bataille qui commence. J’écris, mais je n’ai rien à raconter et je ne comprends pas pourquoi et ça m’énerve et …
Et si tu acceptais de n’avoir rien à dire ? Peut-être que tu peux partir de là, justement, du fait que tu n’as rien à dire. Du vide. Va voir, va visiter ce vide. Fais-en une matière.
m’a lancé Namir, mon formateur/conseiller/thérapeute, je ne sais pas trop comment l’appeler, au cours d’une séance de travail.
Mon cerveau n’a fait qu’un tour et j’ai immédiatement pensé à l’importance du vide dans la philosophie chinoise. Pendant qu’on discutait, que je résistais surtout, dans ma tête tournait cette idée du vide dans l’art chinois. Cet espace qu’on laisse dans n’importe quelle création pour que circule le Qi, le souffle vital.
Le vide nécessaire et absolu sans lequel une peinture chinoise n’est pas une peinture chinoise. Au-delà de ça, qu’elle ne peut pas exister. Que rien ne peut exister.
Laisser circuler le Qi.
Laisser circuler le regard dans l’image.
Je me suis souvent posée cette question dans ma pratique de la photographie.
Laisser de la place au vide pour que quelque chose circule dans l’image.
Peut-être le Qi des chinois anciens. Peut-être aussi le regard de qui se penche sur la photographie. Je pense souvent à elle/lui – lui/elle, c’est moi aussi : la première regardeuse de mes images, c’est moi. Et mon regard a besoin de place, d’espace, de circulation, je le sais, je le sens.
Quand, de retour à la maison, ma boite pleine d’images fraîchement collectées, je les regarde sur mon écran et m’arrête sur l’une ou l’autre, me disant que c’est celle-ci que je vais garder et travailler, je me demande souvent pourquoi. Pourquoi celle-ci plutôt que celle-là, qui pourtant, techniquement est plus réussie ? Qu’il serait beaucoup plus simple, moins long, d’en faire quelque chose de cohérent, de « regardable ».
Je crois que cette histoire de Qi, de souffle vital, y est souvent pour beaucoup. Cette notion, je l’ai découverte aux Langues O, quand j’avais décidé d’apprendre le chinois, il y a longtemps. Depuis, j’ai oublié presque tout de la langue chinoise, mais le Qi me poursuit. Je le cherche, je le traque, j’essaie de l’approcher, de l’apprivoiser. Et la bête est craintive, croyez-moi. Méfiante. Envers l’occidentale que je suis, formée à l’idée de remplir l’espace, de l’occuper complètement – et au-delà – en matière d’art et d’images (et pas que).
On dit que la nature a horreur du vide.
Pourtant, les paysages que je préfère sont des paysages vides : les grandes étendues, les déserts, les lacs, les prairies d’altitude, les mers plates et infinies, les ciels légers.
Les images que je préfère sont celles qui laissent de la place. Dont le sujet n’occupe pas tout l’espace du cadre. Parfois même, ce sont des images sans sujet ou des images où le sujet n’est pas à sa place, académiquement parlant. Ni au milieu, ni au tiers. Il se meut ailleurs, dans le vide.
Qui laisse circuler le Qi. Qui laisse circuler ton regard.
Une piste d’envol pour ton imaginaire.
Et un imaginaire qui s’envole, crois-moi, c’est beau comme un poème qui te frôle et te murmure.
Celui-ci, par exemple :
Un couple de libellules
enchevêtrées
est passé dans un bruit d’ailes
(Tomas Tranströmer – In : Baltiques – Oeuvres complètes 1954 – 2004 – Poésie/Gallimard)