
petits assemblages sans gravité
Il est 7h18 et je n’ai pas encore écrit grand chose ce lundi.
C’est un jour où je ne sais pas quoi écrire. Un jour où ça patine.
Alors, je lis, je note des trucs piqués à droite à gauche.
Dans les livres des autres.
Je note des mots, sur des petits morceaux de papier déchirés.
J’aime bien les papiers déchirés. C’est beau, quand les bords ne sont pas francs, pas droits, qu’ils ne suivent pas le fil du papier. Quand aucun outil n’est venu trancher la matière de la feuille. Juste la main, qui a tiré. Avec ce bruit du papier qui se déchire. J’en ai toujours une boite pleine de ces petits papiers déchirés qui vont accueillir les mots grappillés à droite à gauche.
Quand ils ont des mots dessus, je les place dans une autre boite.
J’aime bien les boites aussi. Ma maison en est pleine. Des boites de tout.
Des boites de photographies, je vous en ai déjà parlé.
Les miennes. Des images de magazines.
Et puis ces photos dénichées chez des brocanteurs. Petits rectangles de papiers avec les souvenirs des gens d’avant dessus.
Des boites remplies de dessins et gribouillages sans importance.
J’entasse les boites. La pièce où je travaille en est remplie.
Et parfois, me prend l’envie de les ouvrir, de puiser dedans. Dans les mots des autres, dans les miens, dans les images des autres, dans les miennes.
J’en attrape quelques poignées.
J’ouvre un carnet.
Et je colle, j’assemble, je « patchworke ».
J’associe.
Sans trop réfléchir.
J’invite tous ces éléments à cohabiter ensemble sur une double page.
Et je vois parfois émerger l’esquisse d’une pensée
L’esquisse d’un futur texte ou d’une exposition
Les idées se forment, inattendues, incongrues parfois, absurdes et même drôles de temps en temps.
Je ne me lasse pas de ce travail que je mène avec plus ou moins de régularité depuis des années.
Les carnets s’épaississent, les pages changent au fil du temps.
Certaines restent presque vides et d’autres se chargent et se surchargent. Parfois, il faut coller des rallonges pour agrandir la page. Alors, pour refermer et ranger le carnet, je plie et je replie. Sans me plier à la contrainte du format. Sans me soumettre à aucune discipline au fond.
Les carnets se multiplient, s’entassent.
Je me demande souvent pourquoi je fais ça. Je me dis que tout n’est pas très utile, que souvent c’est moche ou totalement inintéressant, que c’est du temps perdu. Du temps pas passé à produire un « vrai » travail. Et pourtant, je continue. Obstinément.
Ces doubles pages, je crois sont des petits lieux de grande liberté, un espace qui m’appartient. Une modeste terre d’aventure. Un jardin plus ou moins secret. Le seul endroit du monde où je fais ce que je peux, ce que je veux. Où je fais ce que j’aime faire. Où je fais ce que j’ai à faire. Sans comptes à rendre. Une pratique légère et vivante. Une respiration.
Je ne sais pas si accumuler les carnets épais comme des montagnes suffit à donner un sens à une vie de création. Je ne sais pas si je les jetterai un jour. Parfois, je suis tentée, puis je change d’avis. Et je feuillette. Je me dis qu’il y a de la matière dans tout ça. Que je ne sais pas toujours bien quoi faire de cette matière juste esquissée. J’ai l’intuition d’une chose essentielle, mais que je ne comprends pas vraiment. Et tout ceci n’est pas bien grave au fond.
Je vous laisse sur quelques lignes du peintre Alexandre Hollan notées dans un de mes carnets, il y a quelques années :
« Le regard premier est léger, il sait respirer et la respiration lui permet de s’envoler et d’être porté par elle. Le regard doit constamment rester léger pour ne pas retomber dans les constructions virtuelles (Celles de la raison, qui veulent rester immobiles, qui construisent à partir des branches d’un arbre). Pour rester léger, le regard n’a d’autres alliés – à ma connaissance – que la vitesse de l’élan souple et l’abandon de toute idée logique dans sa chute. Il doit se concentrer sur le trajet qui s’ouvre, avoir confiance dans le trajet qui s’ouvre. »