Histoire de bois

Ça commence par « Il était une fois », parce qu’on adore les histoires qui commencent par « Il était une fois ». Il était une fois un vieux bonhomme qui vivait au fond d’un bois. Il était une fois une sorcière qui bricolait ses potions au fond d’un bois. Il était une fois un magicien qui travaillait son art lui aussi au fond d’un bois. Il était une fois un elfe des bois. Il était une fois un champignon, qui poussait au fond d’un bois. Il était devenu si énorme qu’il faisait de l’ombre aux grands chênes. Il était une fois un brin de muguet qui poussait au fond d’un bois. À la première brise, ses clochettes s’agitaient et tintaient gaiement dès le lever du jour.  Il était une fois une petite fille qui traversait un bois, elle était habillée de rouge. Il était une fois des brigands qui avaient installé leur camp au fond d’un bois. Il était une fois un petit garçon qui pour ne pas se perdre semait des cailloux au fond d’un bois. Il était une fois un oiseau magique qui s’était installé dans le plus grand arbre du fond du bois. Son chant était si beau que tous les animaux venaient l’écouter avant  que le soleil disparaisse. Il était une fois grand chêne très sage qui conseillait tous ceux qui venaient s’aventurer au fond du bois. On venait de très loin et on bravait sa peur de la nuit et sa fatigue pour venir le voir. Il était une fois …  

Beaucoup d’histoires qui commencent par  » Il était une fois » passent par le fond du bois.

Je crois que j’aime autant les contes que la photographie. J’en lis beaucoup. Il m’arrive d’en écrire. Comme il m’arrive d’aller marcher dans la forêt, à l’ombre des arbres, avec l’envie et le besoin de photographier. J’aime la lumière des forêts. La présence des arbres m’inspire et me rassure. J’ai l’impression qu’elle me fournit une matière brute et vivante, une matière remplie de mythes et de légendes. Que des histoires vieilles comme le monde se murmurent dans mes yeux et mes oreilles, en même temps que je cale ma respiration sur le rythme de la marche.  Ma saison préférée, c’est l’hiver. Quand les feuilles sont tombées au sol, quand les grands vieux squelettes de bois craquent sous le poids du froid et de l’âge, quand les branches s’entrechoquent.  Mais la magie opère tout le temps. Au printemps, j’aime quand les jacinthes sauvages couvrent le sol de vert et de mauve. Et quand il fait chaud, l’été, c’est après l’orage que je sors de préférence. Quand l’eau a détrempé les matières chaudes et que le pétrichor monte à mes narines en même temps que les vapeurs d’eau s’élèvent du chemin. A l’automne, je m’enfonce dans les brumes et les brouillards, qui éclairent ce qui reste des feuilles et des fougères de l’intérieur ; étouffant les sons, changeant les perceptions, perdant les repères, rendant parfois des paysages pourtant arpentés par coeur aussi mystérieux que méconnaissables.  Dans ces moments privilégiés, j’ai l’impression de photographier autant avec mon nez et mes oreilles, avec tous les pores de ma peau, qu’avec mes yeux. 

La marche photographique en forêt se transforme en une expérience sensorielle totale. La forêt m’avale. Me captive. Et quand les sens se déploient, s’élargissent, s’agrandissent, l’imaginaire peut commencer à se déplier, à s’ouvrir. 

Je reviens de ces marches, non seulement avec une moisson d’images, mais aussi avec des histoires ou des poèmes plein la tête. Et je comprends pourquoi, dans nos contrées, les forêts ont inspiré tant de contes magiques, effrayants et merveilleux. 

Les forêts sont une richesse et une sagesse immense. Les contes le savent, les poèmes le savent, les images le savent. 

Je me demande si nous le savons encore.

Je vous laisse sur deux petites phrases, notées dans un carnet, attrapées je ne sais plus où ni quand : d’abord le photographe Bernard Plossu « La marche dans la forêt, c’est la marche dans les odeurs. »  et puis Henri Michaux : « Si tu racontais cette histoire à un vieux bâton, il reprendrait feuilles et racines. »

Le début d’un conte ?    

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