
Ainsi
« Ainsi de la plume : trempée dans l’encre par son bout pointu, courant toujours dans le même sens pour honorer la langue, elle se cabre d’un coup… Alors, le sens s’inverse, l’encre imbibe les barbes, les barbes à rebours tracent un mouvement d’encre qui lui même reproduit l’évocation d’une plume d’oiseau noire, détrempée, c’est-à-dire ressemblant à ciel, orage, vent, mer démontée, paysage trop lointain ou organisme trop proche. Ainsi de l’encre : non plus délicatement retirée de sa bouteille, non plus maintenue dans ce magique équilibre où la retenait encore le bec de plume, mais tout à coup déversée, en pluie sur la page, extravagante, mêlée à d’autres fonds, d’autres marcs de café, pétrie à même la feuille. Ainsi de la page : non plus étalée dans le « bon sens » d’une lecture à produire, mais dérangée, démenée, coupée, pliée, donnant lieu à volumes, à verticalités, à pochoirs, et produisant dès lors un abîme de sens pour des visions à multiplier, à démultiplier sans cesse. »
Geoges Didi-Huberman – Phasmes – Essais sur l’apparition
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